Humidité.

Rapahelle leva son nez tordu vers le haut. En tailleur, assise sous la douche, elle laissait couler l'eau sans retenue.
Toujours habillée, elle lança :

" tu crois qu'on peut faire venir de la coke dans Poud' ? "

Elle soupira.

" j'ai terriblement envie d'un rail. "

Un t-shirt blanc. Une inscription : Pink floyd - The Wall.
Un short de sport, pieds nus.

" Où d'la bière. Ah mais ouai, ils ont la bierre au beurre là. J'avais oublié. "

Elle soupira. Tira la langue.

" J'avais jamais remarqué qu'tavais un piercing sur la langue aussi. T'as vu ça commence a devenir la mode. "

Elle devait être carément pénible. Ses cheveux roux lui tombaient sur les épaules, sur les seins, sur les hanches. Une odeur de parfum, de savon envahissait les narines. Elle avait la tête qui tournait.

" Dit Brune, pourquoi tes parents t'ont apellés comme ça hein ? T'as encore du tabac, moi j'en ai presque plus. "

La poufsouffle se roula une cigarette sous l'eau dégoulinante. Malgrès l'humidité, Raphaelle arriva à l'allumer. Elle se demanda une fois de plus pourquoi elle avait tant voulu aller aux douches pour causer avec Brune. Pour une fois qu'elle était pas accompagnée de sa pote là, qui portait un nom de mec, Evan.

" Désolée Bru', j'dois être lourde. Tu trouves pas que j'suis lourde ? Dit Bru' y'a des mecs canon a Gryffy ? "

L'eau brulante tout ça. C'est un moment délicieux.
Calme, selon Brune. La resource, la thérapie de l'esprit et du corps par l'eau. Par l'eau brulante. Par le silence. Par la solitude. Elle a besoin de ça, tu comprends ? Elle en a besoin.
Un long soupir résonne dans sa cabine, à côté de celle de Raphaelle.
Le soupir lourd, lourd de sens.

"J'ai de la morphine dans mon dortoir si tu veux ...", elle fait, la gorge déployée, nue, offerte à l'eau qui la dévore et fait trembler ses tripes d'une chaleur délicieuse. "La coke j'aime pas. J'aime pas être speed."
Et puis elle ignore le reste.
Les mâchoires serrées. A faire comme si ça allait. Ouais c'est ça, de la morphine, ça l'aiderait à supporter les questions, toutes les questions de Raphaelle. Elle l'aime bien, beaucoup même. Mais y a des moments franchement, des moments comme ce moment là, où elle voudrait bien lui gueuler au creux d'une oreille de la fermer un peu. Juste pour pouvoir écouter tous les petits pleurs des goutelettes qui tombent sur le carrelage. Et la buée par sa bouche. Et le réconfort, tout ça.
T'as encore du tabac ?
Elle s'arrête jamais. Bordel où c'est qu'on enlève cette putain de pile, Raph ta gueule je t'en suplie.
Raph tu me rends folle avec tes questions. Raph je vais sortir de ma douche pour t'étrangler avec tes putains de questions.
Raph tais-toi.

Un brun de silence.
Nouveau soupir. Soupir de soulagement. Soupir d'aise.
Elle attrape son savon et commence à frotter énergiquement ses cheveux, qui s'entremèlent mais tant pis. Tant pis.

Les mecs sont canons à griffy ?

"Ecoute Raph, je m'en tape des mecs de Griffy et de toutes les autres maisons. T'as des yeux nan ? Alors juge par toi-même."

Son sourire n'en démordit pas.
Elle se leva, tirant sur sa clope.
Flop Flop Flop.
Psht.
La cigarette s'écrase dans l'eau.

" T'es pas drôle. Tu veux qu'on fasse quoi ? "

Son short la gène pour marcher.
La chaine énorme en argent autours de son cou commence s'oxyder, c'est marrant. Y'a une vieille odeur de métal.

" Choisis un truc. Mais un truc drôle okay ? J'me fait trop chier dans ce bahut. "

Elle se dirigea vers une autre douche et se planta en dessous. Leva la tête. Sourire. Ses dents de travers découvertes, elle pourrait être charmante.

" Okay, va pour la morphine. "

Raphaelle était presque sure que Brune allait trouver un jeu marrant. Un truc différent. Enfin, elle espérait quoi.
Elle poussa le robinet sur eau froide, à fond, et se plongea en dessous. Les yeux grands ouverts.

Maigre sourire. Maigre sourire parce que l'autre a l'air un peu calmée. C'est bien. tant mieux. Tant mieux pour elle. Tant mieux pour le silence. Et tant mieux pour la grande sympathie qu'elle éprouve à l'égard de Raph.
Aspire l'air brûlant à grandes bouffées.
Quand il s'engouffre dans tes poumons, sensation exaltante de chaleur viscérale. Expire lentement. Par le nez. Profite encore jusqu'au dernier instant.
Et quand c'est fini, recommence.
Tu verras, c'est meilleur que la coke. Meilleur qu'un joint. Meilleur que la meilleure des morphines.
C'est se sentir vivant.
Le savon épuisé jusqu'à ne plus être qu'un petit tapis de mousse à ses pieds. Baisse doucement, tout doucement l'eau tu sais, pour ne pas que la coupure soit trop brutale. Et quand c'est définitivement fini tu vois, quand l'eau n'est définitivement plus là, elle ferme les yeux et elle attend dans le vide la dernière goutte qui ne tombera pas.
Soupir.
Elle ouvre la porte.
Appel d'air. Air glacé. Qui te glace le sang, te secoue l'échine comme un violent coup de jus. Elle s'avance un peu précipitée, nue, et s'empare vivement de sa serviette qui l'attend là, sur le bord du lavabo. Elle s'y enveloppe comme dans un papier cadeau et elle regarde juste en face, son reflet qui la dévisage. Sa peau blanchâtre et ses paupières violacées, les yeux un peu rougis par l'eau, le regard fatigué.
Elle frissonne, tout doucement. Et puis elle fait :

"J'm'habille et on va la chercher."

L'air frais s'engouffre.
S'engouffre dans la pièce d'une chaleur étouffante.
Bravant la brume brûlante, Raphaelle passe la porte. Elle goutte, elle est terriblement humide.
Flop Flop.
On voit clairement qu'elle n'a pas mis de soutiens gorge.

" Mais Brune, j'ai pas d'habits de rechange moi. Tant pis, j'viens comme ça."

Et si elles croisaient Peeves. Ahah toute l'eau ça va faire glisser les élèves. Tant pis.

" J'ai plus d'tabac. "

Soupir.

" Tant Pis "

Ca goutte, de sa chaine. Ses cheveux roux comme ça, c'est drôle. Elle s'assoie par terre et regarde Brune s'habiller. Elle est sacrément jolie dans sa serviette. Les dents de travers, le nez cassé, tout ça, Brune l'a pas.
Elle a de la chance.

" Brune, t'es super canon comme fille. "

Brune a encore son maigre sourire.
Elle aime bien les compliments, comme tout le monde, sans se mentir. Mais ne relève pas, trop modeste peut être. Ou sûrement trop pudique. Psychologiquement parlant, je veux dire, parce que là elle s'en fout de se montrer sans rien. Elle part du principe qu'on a pas à se voiler la face, tous les êtres humains sont pareils, avec chacun leurs particularités. Elle enfile à la va-vite, précipitée pour lutter contre les frissons, les frissons qui la dominent. Elle enfile un vieux bas de survêtement bleu, qui est trop large, qui est bien trop grand. Ses grosses baskets. Un débardeur qui est un peu pourri, gris, délavé, un peu détendu aussi, et le haut de son survet qu'elle ferme à demi. Un bonnet noir enfoncé sur la tête, croyez-moi ou pas, c'est avec les cheveux mouillés qu'on attrape le rhume du cerveau.
Et la chaleur la gagne tout doucement. Ses joues rosissent un peu. C'est le bien être qui veut ça. Et puis elle regarde Raph, avec un air de compassion. Elle tui tend sa serviette, qui est un peu humide mais pas tellement. Je veux dire, pas autant qu'elle.

"T'as qu'à prendre ça. Tu te la fous comme une toge, retire tes fringues mouillées, tu vas attraper la crève ..."

Je vous l'avais dit. Que c'est une bonne amie, Brune. Une fois qu'elle les aime, une fois qu'elle a pris le temps de les connaître, elle prend soin des gens.

"On ira les mettre à la laverie et quand j'irai au dortoir, j'te descendrai des trucs à moi.", elle fait doucement, en la regardant. Ca devrait lui aller. Raph est plus menue. Et puis ses fringues vont à tout le monde, généralement.

"D'accord ?"

" Ouai okay. "

Elle prit la serviette, la posa sur un lavabo et commença a se déshabiller. Une fois nue, elle noua prestement la serviette autour d'elle. Ses cheveux roux tombent sur ses épaules blafardes, c'est charmant.
Raph a beau nouer du mieu qu'elle le peut la toge improvisée, elle retombe tout de même. Au bout de quelques instant, un noeud se forme doucement à l'arrière de son cou et la serviette tiens d'elle même.

" J'suis prete, allons y. On fait quoi après ? "

Il fait atrocement chaud maintenant. L'humidité est tellement présente que Rapahelle est toujours toute mouillée. La serviette lui arrive à mi cuisse et elle est tout de même pieds nus.
Une fois de plus, le noeud se dénoue et elle retente de l'attacher autour de sa poitrine.

" Tu prendras d'la morphine aussi ? "

Elle sourie.

" J'en ai envie. "

Agacée. Blasée. Un soupir entendu aux questions de Raph, à part ça, elle ne prête plus attention à elle. Elle n'a qu'une chose en tête, la défonce qui l'attend et qu'elle va pouvoir se laisser aller, le cerveau à l'envers, juste à espérer que la morphine rendra Rapahelle plus silencieuse.

"Tu sais déjà ce qu'on fait après, Raph. Je te rappelle que c'est pour ça qu'on bouge."

Bien sûr qu'elle prendra la morphine aussi.
Elle commence à regretter de lui avoir dit qu'elle en avait, dans sa mauvaise humeur, comme ça, elle a plus tellement envie de lui payer une trace. Peut être qu'elle lui filera un fond de gellule, qu'elle se le foute dans le pif, et qu'elle ira en solitaire pour s'injecter le reste.
Bien sur. Ce serait pas cool de sa part.
Mais j'ai jamais dit que Brune était cool.

"Bon allez on s'arrache. Oublie pas tes fringues."